Dans le mythe de Médée, le dénouement de l’épisode corinthien — qui
se solde par une série de crimes (dont l’infanticide) — est éminemment tragique.
Mais il consacre généralement la victoire de Médée sur un Jason effondré, auquel est
réservée une fin misérable. Or loin d’être punie, l’héroïne parvient à s’échapper sur un
mode épiphanique (manifeste dans les tragédies antiques d’Euripide et de Sénèque)
qui rappelle ses origines divines. Dans le théâtre français du XXe siècle, le triomphe
de Médée peut subsister. Pourtant, dans la réception du mythe, une inflexion notable
s’observe dans les années 1930-1940 avec la mise en scène du suicide de la protagoniste.
On examinera les modalités, les enjeux et les significations possibles de cette
élimination de Médée dans les pièces d’Henri-René Lenormand (Asie, 1931) et de
Jean Anouilh (Médée, 1946), non sans les rapporter à un certain affaiblissement de
la figure dans la littérature européenne du XXe siècle. Chez les deux dramaturges,
la réécriture du mythe porte l’empreinte des événements historiques et des tensions
idéologiques dans une perspective conservatrice (opposition aux mouvements de
décolonisation, résistance aux courants féministes). L’élimination de Médée, qui
reste exceptionnelle dans les versions antérieures et postérieures du mythe, opère ici
comme une simplification appauvrissante du scénario antique : faisant violence au
programme mythologique de la figure, ce choix éradique tout ce que l’Autre conserve
d’irréductible dans sa défaite même.